CHAPITRE VIII
Des pieuvres blanches, ils n’en virent que le lendemain.
Ces bêtes étranges semblaient habiter les forêts de la montagne. Au cours d’une randonnée à basse altitude, dans un petit appareil antigrav, Harp Loser et son second en avaient aperçu, au cours de la matinée, un petit groupe sur une grande plate-forme rocheuse, au bord d’un ravin. Ils les avaient longuement observées à la jumelle, et ils avaient fait quelques constatations assez surprenantes.
Les pieuvres, au nombre de six, se tenaient dressées, immobiles, au milieu de la plate-forme. Elles formaient un cercle. Elles ne bougeaient absolument pas. Elles étaient toutes blanches, avec la curieuse couronne à antennes qui surplombait leur corps, ou plutôt leur tête.
Tout à coup ils virent surgir d’entre les arbres deux bêtes blanches, ayant l’apparence de mammifères. Toutes deux couraient et, visiblement, la plus grosse, – qui avait la taille d’un chien – poursuivait la plus petite, qui ressemblait vaguement à un lapin. Mais toutes deux, brusquement, lorsqu’elles passèrent à une vingtaine de mètres des pieuvres, tombèrent comme si elles avaient été frappées par un projectile invisible et silencieux. Elles furent agitées de légers soubresauts et bientôt cessèrent de remuer.
Les pieuvres alors se mirent en mouvement. Elles marchaient un peu comme des araignées. Elles saisirent avec leurs tentacules les deux mammifères et les emportèrent. Elles disparurent derrière un rocher – probablement dans une caverne.
Cinq minutes plus tard, elles revenaient et reprenaient leur faction, en cercle, au même endroit.
— Curieux, dit Harp.
— Oui, fit Harry Song. Ce doit être leur façon de chasser. Elles ont dû projeter sur leurs proies quelque venin invisible.
— C’est probable. Il nous faudra donc faire très attention, et mettre des masques et des combinaisons isolantes. Le mieux sera d’essayer de les capturer par la voie des airs, avec le grand filet métallique. L’embêtant, c’est qu’on risque de casser leurs tentacules, qui m’ont l’air fragiles…
— Je ne vois pourtant pas d’autre méthode. À moins d’user des décharges paralysantes. Mais tu sais qu’il y a des bêtes qui ne les supportent pas, et qui en meurent…
*
* *
Le même jour, l’après-midi, toute l’équipe se rendit au même endroit, dans quatre petits appareils antigravs. Les six pieuvres étaient toujours là, si immobiles qu’on aurait pu les prendre pour des végétaux bizarres. Elles n’eurent même pas le moindre frémissement quand les engins volants et silencieux s’arrêtèrent, à dix mètres au-dessus d’elles, et qu’un vaste filet métallique fut tendu entre eux.
— Ça va être facile comme tout, s’écria Misoky.
— Et nous allons en prendre six d’un coup, dit Harry Song en se frottant les mains.
— Je suis presque déçue, fit Lira. Jamais une expédition n’aura été menée aussi rapidement à bonne fin.
Harp leva la main.
— Chut ! Ne parlez pas si fort… Et faites attention… Ne quittez pas vos masques et vos combinaisons tant que ces bestioles ne seront pas dans la soute. Je vais compter… À trois, nous déclencherons le filet… Un, deux, trois…
Harp tira sur une commande, tandis que Harry Song, Peter Patless et Joe Frinton faisaient de même dans les appareils où ils se trouvaient.
Il y eut un petit déclic. Le filet tomba. Mais il n’arriva pas jusque sur les pieuvres pour les emprisonner. Il resta suspendu dans l’air, horizontalement, à trois mètres au-dessus de leurs antennes.
— Quelque chose qui n’a pas marché, grommela Harp. Les commandes qui ont dû se bloquer. Recommençons…
Ils remontèrent le filet, vérifièrent soigneusement les commandes qui, d’ailleurs, n’étaient nullement bloquées, et ils recommencèrent.
Le résultat fut le même. Cette fois ils vérifièrent les câbles. Ceux-ci s’étaient déroulés normalement. Ils glissaient bien dans les poulies et ils les firent se dérouler à fond. Mais le filet ne descendit pas plus bas.
Les pieuvres blanches n’avaient pas bougé.
Harry Song pestait. Les autres se regardaient entre eux, étonnés.
— Il se passe quelque chose que nous ne comprenons pas, dit Harp Loser. Inutile d’insister. Il va falloir que nous usions d’une autre méthode.
*
* *
Ce soir-là, ils discutèrent longuement sur le procédé à utiliser.
Finalement tout le monde tomba d’accord : il fallait recourir aux décharges paralysantes.
Ils dormirent dans l’astronef – car les pieuvres blanches commençaient à leur inspirer une vague crainte. Et le lendemain matin, ils partirent dans des chenillettes, et se dirigèrent vers la montagne et la forêt. Ils étaient équipés comme la veille. Par surcroît de prudence, ils avaient même revêtu, par-dessus leurs costumes de trappeurs, de légères combinaisons isolantes destinées à les protéger contre un jet éventuel de liquide venimeux. Et ils étaient armés, non seulement de pistolets paralysants, mais de fulgurants. Le mécanicien Carol Libo devait les rejoindre plus tard, dans un appareil antigrav, pour transporter les bêtes capturées.
Harp Loser, qui savait par expérience que les « paralysants » n’ont parfois que des effets partiels sur certaines espèces animales, dit à ses compagnons :
— Ne prenez pas de risques inutiles… Ces pieuvres sont peut-être plus dangereuses que nous ne le pensons. Je les crois très capables d’étouffer un homme entre les tentacules qui leur servent de pattes… Si vous êtes obligés de les approcher d’un peu près, ayez toujours votre fulgurant à la main… Si vous ne parvenez pas à les paralyser, et si elles deviennent menaçantes, n’hésitez pas à tirer avant qu’elles ne soient sur vous.
Il leur fut impossible d’aller très loin dans la montagne avec leurs chenillettes. Ils durent les laisser dans une clairière et continuer à pied.
Ils avançaient en se tenant aux aguets. Ce n’en fut pas moins pour eux une promenade enchanteresse. La forêt blanche avait quelque chose de magique, d’irréel. Les feuilles, les troncs des arbres, avaient une belle couleur ivoire. Ils découvraient de somptueuses fleurs blanches, d’étonnants champignons, des végétaux de toutes sortes.
Mais comme il n’y avait qu’assez peu de broussailles, ils avançaient rapidement. Parfois ils voyaient fuir quelque bête furtive.
Ils redoublèrent de précautions en approchant de la plate-forme rocheuse où ils avaient vu les pieuvres. Mais quand ils l’atteignirent, celle-ci était déserte. Ils aperçurent une entrée de caverne, mais préférèrent ne pas s’y aventurer.
Ils longèrent la large corniche et bientôt débouchèrent sur un vaste terrain relativement plat, bordé d’un côté par le ravin. Le site était très curieux. De grands bouquets d’arbres l’ornaient, des arbres pareils à des fusées blanches. Tout au fond, à cinq cents mètres, la forêt s’étageait sur des pentes qui n’étaient pas trop abruptes. On voyait aussi par endroits, de ce côté-là, de basses falaises rocheuses et tout un amas de gros rochers effondrés, ainsi que quelques entrées de cavernes.
— Je pense que là-bas, vers ces rochers, nous pourrions trouver des pieuvres, dit Harp Loser. Nous allons nous diviser en trois équipes. Une partira sur la droite, une autre sur la gauche. Je resterai au centre, avec Peter Patless et Rif Solberg. Exécution… Soyez prudents… Cachez-vous derrière les arbres pour observer le terrain.
Joe partit sur la gauche, avec Lira et Misoky.
Ils firent trois ou quatre cents mètres, allant de bouquet d’arbres en bouquet d’arbres. Joe se tenait près de Lira. Misoky était resté un peu en arrière, pour examiner le sol et les végétaux.
Le visage de la jeune fille, sous son masque transparent, était très animé. Elle souriait au reporter. Visiblement elle avait hâte de voir la chasse entrer dans une phase active.
Ils arrivèrent dans la zone des rochers éboulés, non loin d’une de ces falaises que couronnaient les grands arbres de la forêt.
Ils se glissèrent prudemment entre deux grandes masses rocheuses. Joe était loin de se douter que, dans moins d’une minute, il allait vivre une abominable tragédie.
Lira marchait à une dizaine de pas devant lui. Il se retourna pour voir si Misoky les suivait. Le biologiste était à ce moment-là à une centaine de mètres en arrière, près d’un bosquet, mais il leur fit signe qu’il allait les rejoindre. Et Joe se remit en marche.
Lira venait de déboucher dans un espace vide et nu entre les grosses roches éboulées et la falaise. Alors ils virent les pieuvres.
Elles étaient trois, debout sur leurs longues pattes multiples, immobiles. Elles se tenaient tout près de la falaise, devant l’entrée d’une caverne. Des cavernes, il y en avait d’autres, plus ou moins grandes, le long de cette muraille rocheuse.
Tout se passa avec une rapidité folle, comme dans certains cauchemars.
Lira fit comprendre d’un geste à son compagnon qu’il devait opérer sur la droite, et Joe fit une quinzaine de pas dans cette direction.
Ils n’étaient plus qu’à une quarantaine de mètres des pieuvres, qui n’avaient pas bougé. Lira tenait à la main droite son pistolet paralysant. Elle l’arma. Joe fit comme elle.
Ils tirèrent en même temps. Les petites flammes bleues caractéristiques avaient jailli silencieusement des canons. Il ne se passa rien. Les pieuvres ne bougèrent pas.
Lira cria alors :
— La décharge n’a pas été suffisante. Il faut tirer de plus près.
Elle s’élança. Le reporter l’imita. Mais à ce moment-là il s’entortilla le pied dans une liane et tomba. Et tandis qu’il tentait de se dépêtrer de ce piège insolite, il assista à l’horrible scène.
Lira avait fait une dizaine de pas en avant et elle tirait de nouveau, mais sans plus d’effet que la première fois. C’est alors que deux des pieuvres se mirent en mouvement dans sa direction, menaçantes.
Joe lui cria :
— Servez-vous de votre fulgurant !…
Elle n’avait pas attendu qu’il le lui dise. Elle avait remis le « paralysant » dans sa ceinture et sorti avec une promptitude étonnante l’arme faite pour tuer. Elle tira. Le jeune homme tira lui aussi, très vite, car il la sentait en danger. Les deux détonations quasi simultanées firent un bruit de tonnerre qui roula sur le paysage. Mais les décharges des fulgurants restèrent sans effet.
Les deux pieuvres avançaient toujours. Lira commençait à reculer, en tirant de nouveau. Elle faisait montre d’un courage étonnant. Joe lui cria :
— Fuyez !
Il se passa alors une chose épouvantable. Brusquement – tandis que le jeune homme continuait à tirer lui aussi, tout en essayant de dégager son pied retenu par la liane – il vit Lira tomber sans aucune raison apparente. Les deux pieuvres avançaient toujours de plus en plus vite, et la troisième à son tour s’était mise en mouvement.
En quelques secondes, les trois bêtes monstrueuses furent auprès de la jeune fille, la saisirent avec leurs tentacules, la soulevèrent et l’emportèrent. La malheureuse ne bougeait plus. Visiblement elle était évanouie, ou morte.
Joe, qui n’était pas encore parvenu à dégager son pied prisonnier, poussait des hurlements de détresse et d’impuissance. Mais déjà les pieuvres avaient emporté leur proie dans la caverne la plus proche.
Quelques précieuses secondes s’écoulèrent encore. Puis le reporter, au prix d’un effort surhumain, parvint à briser la liane qui le rattachait au sol.
Il se releva et se précipita vers la caverne.
Dans le même moment, Misoky accourait. Par la brèche entre les deux rochers, il avait vu toute la dernière phase de l’horrible scène. Il avait constaté avec effroi que les fulgurants, tout comme les paralysants, n’avaient aucun pouvoir sur les pieuvres blanches.
Il vit Joe se ruer vers la caverne. Il lui cria d’une voix hachée par l’éinotion :
— Arrêtez !… Vous allez périr vous aussi… Restez dehors… Attendons que nos compagnons soient là…
Mais Joe ne se retourna même pas. Brandissant son fulgurant inutile, il se précipita dans la caverne…
Celle-ci s’enfonçait profondément sous la montagne, et se ramifiait en une série de galeries obscures. Les pieuvres et leur proie avaient disparu.
Le jeune homme n’hésita qu’un instant. Il avait tiré de sa poche une torche électrique. Ayant cru entendre un vague bruit dans une des galeries, il s’y précipita. Mais d’autres couloirs souterrains s’ouvraient à droite et à gauche. Il prit celui de gauche, car il avait encore cru entendre un bruit de ce côté-là.
Bientôt il marcha sur une litière d’ossements – ce qui restait des bêtes que les pieuvres avaient dévorées – et une affreuse puanteur flottait dans l’air.
Joe était fou de douleur et de rage. Il appelait Lira, à plein gosier, tout en sachant bien, au fond de lui-même, qu’elle ne pouvait pas l’entendre. Il avait à peine conscience du danger terrible qu’il courait. Si Lira était morte, il lui était indifférent de mourir lui aussi. Il n’avait plus qu’une pensée : arracher au moins le cadavre de la jeune fille à ces monstres.
Il courait presque, malgré les obstacles qui s’accumulaient. Tout en courant, il aperçut une lueur sur la gauche. Ce devait être une autre des entrées de cette sorte de labyrinthe macabre dans lequel il se trouvait.
Tout à coup, il aperçut Lira. Elle gisait sur un monceau d’ossements, dans un recoin ténébreux vers lequel il avait dirigé le faisceau lumineux de sa torche. Les pieuvres l’avaient laissée là.
D’un bond, il fut auprès d’elle. Il s’agenouilla. Il la contempla. Elle avait les yeux fermés. Sous son masque transparent, elle semblait horriblement pâle. Il la crut morte.
Mais il ne perdit pas de temps à vérifier s’il y avait encore en elle un souffle de vie. Il la souleva, la prit dans ses bras robustes et l’emporta en courant.
*
* *
Malgré l’état d’émotion et de douleur extrêmes dans lequel il se trouvait, il avait noté dans un coin de son esprit qu’il était passé un instant plus tôt non loin d’une entrée du dédale puant. C’est de ce côté-là qu’il se dirigea, et il ne tarda pas à apercevoir le ciel.
Comme il allait surgir à l’air libre, il vit un homme apparaître dans l’entrée de la caverne. C’était Harp Loser. À une dizaine de mètres derrière celui-ci se tenaient Misoky, le cosmonaute Peter Patless et le jeune Rif Solberg, qui semblaient hésiter, eux, à avancer davantage.
La première parole que Loser prononça fut :
— Est-elle vivante ?…
Le visage du vieux trappeur était ravagé par l’angoisse. Il devait connaître les mêmes affres que lorsque sa femme était morte dans des circonstances tragiques, une vingtaine d’années plus tôt.
Harp Loser et les deux hommes qui étaient avec lui, en entendant les détonations des fulgurants, avaient compris que quelque chose de très grave se passait, étaient aussitôt accourus. Le biologiste, qui les avait attendus, impuissant et terrifié, leur avait expliqué d’une voix hachée ce qui venait de se passer.
Le trappeur aussitôt s’était comporté comme Joe lui-même l’avait fait. Il s’était rué vers le repaire des monstres.
Maintenant il se penchait sur sa fille que Joe tenait toujours entre ses bras.
— Est-elle vivante ? répéta-t-il d’une voix tremblante.
— Je ne sais pas, balbutia le jeune homme.
— Posez-la par terre…
— Non… Ne restons pas ici… Si des pieuvres sortaient de ces trous, c’en serait fait de nous tous… J’en vois là-bas, sur la gauche… Eloignons-nous vite…
Il donna l’exemple, filant vers la brèche entre les rochers, puis vers les bosquets d’arbres.
Peter Patless dit au vieux trappeur :
— Il a raison. Filez vers le ravin. Moi, je vais aller au devant de l’équipe de Harry Song. Ils doivent accourir eux aussi… Je les préviendrai qu’il est dangereux de rester près de la falaise, car à tout instant des pieuvres peuvent sortir des cavernes…
Joe sentait que son cœur faiblissait, mais il continuait à courir à vive allure. Il était à peu près convaincu que Lira avait succombé. Mais au fond de lui-même il conservait un farouche espoir.
Il ne s’arrêta qu’en arrivant près du ravin. Il n’aurait pas pu faire vingt mètres de plus sans défaillir.
Harp Loser l’aida à poser délicatement la jeune fille sur le sol. Misoky aussitôt se pencha sur elle. Il lui enleva son masque, ses gants, ouvrit la blouse imperméable dont elle était vêtue, puis sa combinaison de trappeur. Il lui tâta le pouls, mit son oreille sur sa poitrine.
Les autres les entouraient. Tous respiraient bruyamment, et sur leurs visages se lisait une anxiété terrible.
— Son cœur bat, dit enfin Misoky. Il bat même d’une façon régulière. Elle n’est qu’évanouie.
Harp Loser se jeta littéralement dans les bras de Joe en bégayant :
— Joe, mon cher Joe… Vous lui avez sauvé la vie… Il faut la ramener à l’astronef le plus vite possible… Qu’attend donc Carol Libo pour nous rejoindre ?
Il leva la tête pour inspecter le ciel.
— Justement le voilà, fit-il.
Il tira alors de sa ceinture un pistolet lance-fusée pour signaler leur présence.
Moins d’une minute plus tard, le petit appareil antigrav à quatre places, se posait à quelques pas d’eux.
Tandis qu’avec d’infinies précautions ils installaient la jeune femme évanouie dans l’un des sièges, ceux qui s’étaient éloignés sur la droite avec Harry Song arrivèrent en courant. Ils étaient très anxieux eux aussi. Mais on les rassura aussitôt.
— Ne perdons pas de temps, leur dit Harp Loser. Je vais regagner notre base au plus vite par la voie des airs, car Lira a besoin de soins rapides. Je ne peux emmener avec moi que Joe et Roald Misoky. Je piloterai, Carol. Reste avec les autres. Retournez tous vers les chenillettes et rentrez rapidement. Si vous apercevez des pieuvres, fuyez… Pour moi, cette expédition est terminée…
*
* *
Lira n’avait pas encore repris connaissance lorsqu’ils arrivèrent à l’astronef.
Dès qu’ils l’eurent déposée sur une couchette, dans le petit laboratoire médical du vaisseau, Misoky l’examina minutieusement et lui fit subir divers tests.
Harp et Joe, qui attendaient dans le living-room le résultat de cet examen, étaient toujours passablement inquiets. Mais quand ils virent le biologiste reparaître avec un large sourire, ils furent tout à fait rassurés.
— Je n’ai absolument rien découvert d’anormal en elle, leur dit Misoky. Elle respire paisiblement. Sa tension est correcte. La prise de sang que je lui ai faite m’a permis de m’assurer qu’il n’y avait aucune substance toxique dans son organisme. Certains petits signes me donnent toutefois à penser qu’elle a subi une sorte de choc électrique…
— Un choc électrique ? s’exclama Harper.
— J’ai dit une sorte de choc… Un peu du même genre que ceux que causent nos pistolets paralysants… Et vous savez comme moi que ces chocs-là, qui endorment le sujet pendant plusieurs heures, n’ont aucun effet fâcheux…
— C’est curieux, dit Harper. Mais après tout ce n’est pas impossible… On connaît déjà des animaux, notamment certains poissons, qui ont de véritables piles électriques dans le corps. Et ces monstres ont sur la tête toute une série d’antennes qui forment comme une couronne… Mais je ne veux plus penser à ces horribles créatures. Ce que je me demande toutefois, c’est pourquoi même les fulgurants sont sans effet sur elles.
— Il doit bien y avoir à cela une explication, dit le biologiste. Mais je ne la vois pas…
*
* *
Harp et Joe ne quittèrent pas le chevet de Lira pendant les heures qui suivirent. Ils restèrent un long moment silencieux, contemplant le beau visage serein de la jeune fille et guettant le moindre signe annonçant qu’elle allait reprendre conscience.
Puis le trappeur dit au reporter :
— Misoky m’a raconté en détail comment tout s’est passé. J’y ai beaucoup réfléchi. J’ai pensé que deux hommes seulement pouvaient faire ce que vous avez fait pour Lira : moi, parce que je suis son père… et le second ne pouvait être qu’un homme aimant profondément ma fille…
Le jeune reporter rougit jusqu’à la racine des cheveux.
— Oh ! il n’y a pas de quoi rougir, s’exclama Harp. Si ce n’est de fierté. Car pour agir comme vous l’avez fait, il fallait non seulement beaucoup d’amour, mais beaucoup de courage. En vous précipitant dans cette caverne, après avoir vu ce que vous aviez vu de vos yeux, vous couriez à une mort quasi certaine… Et vous le saviez… Vous aimez ma fille, n’est-ce pas, Joe ?
— Oui, murmura le reporter.
— Oh ! il y a déjà quelque temps que je m’en suis aperçu. Et cela ne m’a pas déplu. Car si cela m’avait déplu, je ne vous aurais pas amené ici…
Il y eut un moment de silence. Joe n’osait plus rien dire. Le vieux trappeur souriait. Et soudain il se pencha vers Lira. Elle venait d’ouvrir les yeux.
— Père, fit-elle… Où suis-je ?… Et vous, Joe, vous êtes là aussi ?… Je suis bien contente… Mais que s’est-il passé ? Ah ! oui… Ces maudites bêtes… J’ai bien cru que j’allais périr… J’ai reçu comme un choc invisible… Une espèce de décharge électrique… Et j’ai perdu conscience. J’ai dû tomber… Que s’est-il passé après ?…
Son père le lui raconta.
Elle resta un instant rêveuse, puis prit dans ses mains les deux mains de Joe. Elle se mit à pleurer.
— Tu pleures ? lui dit Harp. Cela ne te ressemble guère.
— Je pleure de joie, père. Tu ne peux pas comprendre pourquoi.
— Oh ! si, fit-il. Tu pleures de joie parce que tu aimes Joe, et parce que tu as maintenant compris qu’il t’aime lui aussi…
— C’est bien vrai, Joe ?
— C’est vrai, dit le jeune homme. Depuis le premier jour où je vous ai vue…
Harp Loser sentit qu’il allait lui aussi céder à l’attendrissement. Mais il se reprit :
— Comment te sens-tu, maintenant ?
— Oh ! parfaitement bien. Aussi bien que s’il ne s’était rien passé. Et même en pleine forme. Et si heureuse, papa ! Qu’allons-nous faire, maintenant ?
— Vous marier, je pense.
Elle se mit à rire.
— Nous marier, bien sûr. Et dès que nous serons rentrés à la maison. Mais quand je te demandais ce que nous allions faire, je pensais à l’expédition.
— Elle est terminée. Nous repartons cette nuit. Ces bêtes sont trop dangereuses.
— Oh ! père, tu ne vas pas renoncer à cause de cet incident ?
— Je crois que Lira a raison, dit Joe. Vous ne pouvez pas renoncer avant d’avoir au moins cherché s’il n’y a pas une solution au problème.
Ce fut au tour de Harp de se mettre à rire.
— Vous parlez déjà comme un trappeur chevronné, dit-il. Eh bien ! d’accord, nous resterons encore quatre jours sur cette fichue planète blanche, mais à une condition, c’est que Lira ne quitte pas l’astronef.
La jeune fille ouvrait déjà la bouche pour protester. Mais Joe lui dit :
— Votre père a raison, Lira.
— Très bien, fit-elle. Pour une fois, j’accepte.
— Maintenant, dit Harp. Je vous laisse. Car vous devez avoir beaucoup de choses à vous dire.
Sur quoi il s’éclipsa discrètement.